Méditation sur Joseph, l’homme disponible.

Saint Joseph par Benoît XVI : Méditation sur Joseph, l’homme disponible.

Une magnifique méditation de Benoît XVI , tirée des sermons du Cardinal Ratzinger sur les saints, commencé de publier en Allemagne en 1982.

Source : écrits de Benoît XVI,  » les Saints, nos contemporains » ( Editions Parole et Silence) Ce sermon fut prononcé le jour de la saint Joseph dans la chapelle des soeurs de la Mère douloureuse à Rome, 19 mars 1992) C’est une approche de Joseph ancrée dans la Parole, et qui montre une profonde intimité entre le cardinal Ratzinger et son saint Patron.

                                                                                              

Comme Joseph, tourner notre démarche vers l’intérieur.

 Il y a peu de temps, j’aperçus dans l’appartement d’amis une représentation de saint Joseph qui me fit réfléchir. Il s’agissait du relief d’un autel portugais baroque : il montrait la nuit qui précéda la fuite en Egypte. Il y avait là une grande tente ouverte. D’en haut, un ange descend ; dans l’ouverture de la tente est couché Joseph- dormant, mais habillé du vêtement du pèlerin, avec de grandes bottes à revers telles qu’on les utilise seulement pour un périble difficile. Ce qui nous paraît de prime abord peut-être un peu naïf- le fait que le dormeur est en même temps le voyageur-se révèle plus profond et nous fait entendre quelque chose du message de la personne de Joseph.

 

Joseph dort, mais en même temps, il est capable d’entendre l’ange ( Cf Mt 2, 13 s). Il émane de lui ce que dit un passage du Cantique des Cantiques :  » Je dors mais mon coeur veille » ( cf Ct 5, 2). Les sens sont au repos mais le fond de l’âme est ouvert. La tente ouverte devient l’image de l’homme qui peut entendre en profondeur, qui est assez ouvert pour que la vie de Dieu et de ses saints anges parvienne jusqu’à l’oreille de son coeur. En profondeur, l’âme de chaque homme est en contact avec Dieu. De l’intérieur, Il veut parler à chacun de nous, Il est proche de chacun de nous. Mais nous sommes la plupart du temps préoccupés entièrement de nos affaires, de nos soucis, de nos attentes et désirs de toute nature. Nous sommes si remplis d’images et de tourments que, tout en étant éveillés de l’extérieur, nous avons perdu notre éveil intérieur, au point que nous ne sommes plus capables d’entendre la voix venant du fond de notre âme. cette dernière est si remplis de bric-à-brac, tant de murs sont bâtis devant Dieu que lui et sa voix assourdie ne peuvent plus pénétrer à l’intérieur. Dans les temps modernes, nous sommes devenus de plus en plus capables de dominer le monde, de transformer toute chose comme nous l’entendons; mais ce progrès de notre pouvoir sur les choses, de notre connaissance de ce que l’on peut faire d’elles, a en même temps rétréci notre perception : notre monde est devenu unidimensionnel. Nous sommes dominés par nos objets, par ce que l’on peut prendre en main, par ce avec quoi on peut faire quelque chose. En dernier ressort, nous ne voyons que nous-mêmes et n’écoutons plus la profondeur de la Création qui nous parle encore aujourd’hui de la beauté et de la bonté de Dieu. Joseph dormant, qui est cependant en même temps capable d’entendre en profondeur-comme nous l’avons appris aujourd’hui dans la lecture de l’Evangile- est l’homme de la concentration et de la disponibilité intérieures. La tente de sa vie est ouverte. Ainsi il s’adresse à nous ; il nous invite à nous retirer un peu de la clameur des sens, afin que nous retrouvions notre concentration, que nous apprenions à regarder vers l’intérieur et vers le haut, que Dieu touche notre âme et puisse lui parler. Je pense que le carême est une période de ce type dans notre vie, période pendant laquelle nous devons à nouveau nous éloigner de tout le quotidien, qui nous tourmente, et tourner notre démarche vers l’intérieur.

Une succession de chemins acceptés

 Autre élément. Ce Joseph est pour ainsi dire prêt à bondir. Il est prêt- comme cela est dit dans la passage de l’Evangile lu aujourd’hui- à se lever et à exécuter la volonté de Dieu ( cf Mt 1, 24; 2, 14). Il touche, ce faisant, à ce qui est le centre de la vie de Marie et qu’elle exprime à l’heure décisive de sa vie : Me voici! Je suis la servante du Seigneur! » ( Lc 1, 38). La même chose s’applique à Joseph : cette disponibilité à se lever :  » Vois, je suis ton serviteur! Prends-moi! Ou encore comme Isaïe répond à l’heure de sa vocation : Me voici ! Envoie-moi ( Es 6, 8; cf 1 S 3,8 s). C’est l’appel qui dorénavant détermine toute sa vie. Que l’on songe ici également à un autre mot de l’Ecriture, l’adresse de Jésus à Pierre :  » Tu seras conduit là où tu ne voudrais pas. ( Jn 21, 18). Joseph, l’homme disponible, en a fait le critère directeur de sa vie. Il était là pour se laisser conduire même là où il ne le voulait pas. Toute sa vie est une succession de tels chemins acceptés.

 

Que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se réalise

Cela commence par cette première rencontre où l’ange l’initie au mystère de la maternité divine de Marie, dans le secret messianique, et interrompt ainsi brusquement la vie calme, modeste, à laquelle il se préparait, en l’entraînant dans l’aventure de Dieu avec les hommes- une expérience proche de celle du Buisson ardent : la rencontre directe avec le mystère dont il doit être le témoin et l’un des porteurs. Le message se manifeste immédiatement : la naissance du Messie ne peut pas s’effectuer à Nazareth. Joseph doit se mettre en route pour Bethléem, la ville de David, mais même là, la ville ne peut pas être le lieu de la naissance. Les siens ne l’ont pas accueilli. ( Jn 1, 11) Le mystère de la Croix se profile avant l’heure. Le Seigneur est mis au monde, hors de la ville, dans une étable. Et ensuite se produit l’autre rencontre avec l’ange, rencontre qui conduit Joseph vers l’exil en Egypte ( Mt 2, 13-15). En Egypte, il subit le sort du sans abri, du sans-patrie, de l’exilé, de l’étranger qui ne fait pas partie du pays et doit chercher un lieu pour lui et pour les siens. La menace permanente empêche tout retour. Alors arriva ce grave événement : les trois jours d’absence de Jésus ( Cf Lc, 2, 46) qui anticipe déjà le mystère des trois jours qui séparent la Croix de la Resurrection. De la même façon que le Ressuscité ne retourne pas à son ancienne vie, à son ancienne intimité, mais dit  » N’essaie pas de me retenir! Je monte chez le Père! » – Tu ne peux être avec moi que si tu veux monter avec moi ( Cf Jn 20, 17), – de même apparaissent lors des retrouvailles dans le Temple, l’étrangeté, le sérieux et la hauteur du mystère lorsque Jésus resitue pour ainsi dire Joseph à sa place, et ce faisant, l’emmène en même temps vers le haut : Je dois être dans la maison de mon père. ( cf Lc, 2-19). Tu ne t’appelleras pas  » père », tu n’es que le gardien, le mandataire de cet office, et en cela du mystère de l’incarnation de Dieu. Et finalement, Joseph meurt avant de pouvoir vivre la Révélation de la mission de Jésus. Tout reste caché dans le silence, la souffrance, les espérances. Cette vie n’est pas une réalisation de soi dans laquelle l’homme vient chercher en lui-même tout ce qu’il peut trouver, et essaye de faire de lui-même tout ce qu’il croit pouvoir faire de sa vie. Ce n’est pas une réalisation de soi-même mais un renoncement de soi. Etre conduis là où tu ne voudrais pas. Il ne prend pas possession de sa vie, mais il la donne. Il ne réalise pas un projet qu’il a conçu avec ses propres capacités, et avec sa propre volonté ; il se place au contraire entre les mains de Dieu, se défait de sa volonté pour l’intégrer dans celle de l’Autre, dans la volonté supérieure de Dieu; là précisément où se trouve la vraie perte de soi, l’homme se trouve. Oui, c’est seulement dans la perte de nous-mêmes, dans le don de soi, que nous pouvons nous recevoir. Et cela n’intervient pas par la domination de la volonté propre de l’individu qui se réalise, mais par celle de la volonté de Dieu. Que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise ( Lc 22, 42). Là où se produit ce que nous sollicitons- que ta volonté se fasse, sur la terre comme au ciel- un morceau de ciel se crée sur la terre, car à ce moment, la terre est semblable au ciel. Et ainsi Joseph, celui qui se perd, celui qui renonce, qui en quelque sorte suit à l’avance le crucifié, montre le chemin de la fidélité, le chemin de la résurrection et de la vie.

 

C’est seulement si nous ré-apprenons à regarder le ciel comme Joseph que la terre redeviendra lumineuse.

 Il s’ensuit une troisième chose. Ce Joseph est vêtu comme un pèlerin. Et son chemin est, depuis l’heure du mystère, un pélerinage. Il se trouve sous le signe d’Abraham; car l’histoire de Dieu, l’histoire de ses relations avec les hommes, l’histoire de ses éléctions commence par l’appel au patriarche : Pars de ton propre pays, de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai. ( Cf Gn 12,1; 26,3: He 11, 8 s.). Joseph devient ainsi la préfiguration de l’existence chrétienne en devenant l’image ultérieure à l’existence abrahamique. La première épître de Pierre et l’épître aux Hébreux soulignent cela avec une grande insistance. Comme le Christ- nous disent les apôtres-vous êtes des étrangers, des pèlerins et des hôtes ( 1P1, 1, 17; 2,11; He 13, 14). Car notre chez nous- ou comme nous le dit saint Paul dans l’épître aux Philippiens- notre cité est dans les cieux ( Ph 3, 20). Nous n’aimons plus beaucoup entendre aujourd’hui ce discours sur le ciel, car nous pensons que cela nous détourne des devoirs que nous avons sur la terre, que cela nous rend étrangers au monde. Nous pensons que non seulement nous devons transformer la terre en paradis et ne pas écarter notre esprit de ce but, mais que nous devons lui consacrer notre coeur et nos mains. Mais précisément en voulant cela, nous détruisons la Création. En effet, l’attente de l’homme, son aspiration ultime, est dirigée vers l’infini. Et il est toujours vrai aujourd’hui, que rien ne suffit à l’homme, si ce n’est Dieu. Il est ainsi créé, que le fini est toujours trop peu pour lui, qu’il lui faut davantage : l’amour infini, la beauté et la vérité infinies. Cette attente est indestructible en lui, mais il peut perdre des yeux sa finalité. Et dès lors, il veut aller chercher l’infini dans le fini. Il veut voir le ciel sur la terre, il attend et il sollicite tout d’elle, de cette vie et de cette société. En voulant produire l’infini à partir du fini, il foule aux pied la terre et rend la coexistence mutuelle impossible dans une société ordonnée, car autrui devient pour lui une entrave et une menace dans la mesure où il s’approprie toujours un morceau de la vie et du monde que l’on voudrait garder pour soi. C’est seulement si nous ré-apprenons à regarder le ciel que la terre deviendra lumineuse. C’est seulement si nous laissons devenir vivante en nous toute la grandeur de l’espérance en la coexistence éternelle avec Dieu, si nous redevenons des pèlerins vers l’éternel et si nous ne nous aggrippons pas à la terre, que le rayonnement de notre espoir tombe aussi sur ce monde et lui donne, à lui aussi, l’espérance et la paix.

 

Ainsi nous voulons en ce jour remercier Dieu pour ce saint de la  » concentration » sur Lui, de la disponibilité, de l’obéissance, de la perte de soi, de l’être-en-route vers les promesses de dieu et donc du service de la terre. Nous voulons dire notre gratitude pour ce jour du jubilé où nous voyons qu’encore aujourd’hui des hommes s’ouvrent à la volonté de Dieu, entendent son appel et font le chemin avec lui, quel que soit le lieu où il conduit. Nous voulons demander la grâce qu’une telle vigilance et disponibilité nous soit accordée et que l’abondance d’une telle espérance pénètre notre vie et nous amène vers Dieu, qui est notre vraie destination dans la communion de la vie éternelle.

 Source: Saint Joseph du web

 

 

                                                   (  Le repos pendant la fuite en Egypte 1805-1806, Hambourg Kunsthalle Allemagne, ne pouvant proposer l’image contemplée par le cardinal Ratzinger chez des amis!)

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